18 nov. 2015

Et contre tout




Ce matin, comme une explosion, le ciel rouge sang dans l'interstice du rideau.
Moment de panique et longues secondes pour atteindre la fenêtre et comprendre. Le ciel n'est pas en train de mourir. Pas aujourd'hui. Pas cette fois. C'est le soleil, juste le soleil, qui se réveille aussi. Vite, prendre une photo. Se recoucher en surveillant du coin de l'oeil l'entre-rideaux.

En sept battements de cils, toutes les couleurs s'évaporent en un gris blafard et banal. Où va donc le soleil lorsqu'il sort de scène ? L'imaginer prendre ses affaires et retourner se coucher, drapé dans sa fierté. Épuisé par tant d'efforts pour faire vibrer le ciel presqu'indifférent, découragé par la victoire des nuages, dégouté par l'avancée inéluctable de l'obscurité sur sa lumière. Penser à ça en se rendormant, pour ne pas penser au chaos et à la dévastation.

Ce matin, comme un chagrin, le gris a encore gagné du terrain.
Se dire que la lumière est de plus en plus difficile à traquer, qu'elle se terre pour rester en vie, mais que dans toutes les interstices, il nous faut continuer de la chercher. Continuer de nous lever pour en attraper les quelques secondes dont nous saurons nous rappeler chaque nouvelle fois que le noir, aveugle et sourd, voudra nous engloutir tout entier.

27 sept. 2015

Plan séquence



Dès le réveil, au verre d'eau avec le soleil dans les yeux et les joues chauffées par son reflet dans la vitre, je pense à m'enfuir avec toi. Et je nous vois prendre le large à travers le filtre d'une caméra. Toutes les images d'aujourd'hui seront gorgées de cinéma.

Au coin de notre rue, la voiture crasseuse s'est transformée en belle décapotable. Tu es Steve McQueen, bien sûr. J'invoque Audrey Hepburn. Filons mon amour, vers la côte, de l'autre côté du bras, voir le nord et la mer.

La caméra nous suit alors qu'on file à toute allure sur les routes lacées, enlacées, entrelacées. Le soleil inonde tout, et nous sommes à contre-jour. C'est comme ça qu'on est beau. En bande son Nina Simone. Elle seule avec nous. Et le goût de la pellicule.

Sur la plage, le soleil toujours et son reflet sur l'eau fait des milliers de petits boutons d'or, tu sais, ces rivières de diamants éblouissants qui font plisser les yeux. C'est presque trop cinématographique, on ne nous croirait pas. Mais on s'en fout non?

Sur la route du retour, le soleil a fini par baisser de volume, dore les ombres et effleure ton bras posé nonchalamment sur la portière. Le haut des toits et des arbres, roses, ta peau, ponctuée de nouvelles rousseurs. Le soleil est dans notre dos. C'est aussi comme ça qu'on est beau. Plus je nous vois, plus j'en suis certaine. Tant de splendeur. Personne ne nous croira. On s'en fout, c'est à nous.

23 juin 2015

À votre appel



Vous, disons-nous vous.
Réveillez-vous.

J'ai la main sur votre peau.
Laissez-moi vous écouter vibrer.

Oui, je sais. Je la reconnais.
Elle vous tombe sur le coeur comme une fleur et vous ne savez pas quoi en faire. La masse lumineuse et pesante, lourde de vos nuits vives. Elle a la forme de vos songes, la couleur de vos élans. J'en ai vu de ces boules de rêves et de fureur, de douleur et d'envies. La vôtre est dense. Vorace.
Elle est belle ce matin, et demain...

Vous, disons-nous vous.
Depliez-vous

J'ai les doigts sur vos battements de coeur.
Laissez-moi vous la prendre.

Ce n'est rien. J'ai l'habitude.
Je vous quitte, chargé de vos peines et de vos désirs. Dans mes bras ils ne pèsent presque rien. Demain je reviens, le jour d'après je reviendrai, encore et encore après, je saurai alléger votre coeur et éclairer vos yeux. À votre appel. Je suis votre dévoué serviteur, vos doux réveils sont les miens.

3 mai 2015

Exercice salutaire

Liste des cinquante choses à ne pas oublier de faire avant de mourir. Inspirée de Georges Perec qui n'en avait que trente-sept. Sans ordre d'importance et sans trop y penser.

- entretenir une correspondance.

Une

- apprendre à danser;
- voir les pingouins dans leur habitat naturel;
- nager dans un lagon, une mer chaude, des eaux tropicales;
- changer de vie, au moins une fois;
- voir le Japon;
- écrire un livre.

Sept

- faire un très long voyage, très loin ou très près, mais pendant des mois. Peut-être même sans date de fin précise;
- apprendre à monter à cheval, affronter au moins cette peur;
- voyager sur un voilier;
- passer plus de deux nuits d'affilée dans un très grand palace;
- tenir un bar le temps d'un soir;
- aménager une bibliothèque dans une pièce rien que pour elle;
- voir la Patagonie, et résoudre du même coup la question des pingouins ?
- rencontrer quelqu'un que j'admire. Une de ce personnes qui m'emporte et m'inspire, et pouvoir le lui dire;
- partir sur un coup de tête, n'importe où pourvu qu'il n'y ait aucun plan;
- trier toutes mes photos, en faire des albums.

Dix-sept

- avoir des enfants;
- écrire des chansons pour quelqu'un, qui pourra les chanter, idéalement;
- boire du champagne devant un feu d'artifices;
- porter une pierre précieuse;
- acquérir une oeuvre d'art. Vraisemblablement une photo ou une sculpture, mais sans exclure la peinture;
- dormir à l'hôtel dans la ville dans laquelle je vis;
- voir La Traviata sur scène;
- courir dans un champ de tournesols;
- traverser l'Amérique en voiture et en tenir un carnet de voyage;
- manger un ortolan;
- voir une aurore boréale. Plusieurs si possible;
- boire un très grand vin, une exception;
- conduire une décapotable rouge;
- acheter un objet, même un tout petit, à une vente aux enchères.

Trente-et-une

Il suffira de ne pas mourir tout de suite.

12 avr. 2015

respirations

On s'est perdu dans les rues au bout de la ville qui ne l'est plus. Vent marin, oiseaux railleurs, le goût des vagues sur le bout de la langue. J'ai mis du rouge sur mes lèvres. Le claquement de mes talons comme une ponctuation. Tac, tac, tac.Tu m'entends ?
Dans un grand rire, tu t'es mis à courir, une vague d'oiseaux noirs est passée d'un arbre à l'autre en hurlant. Fin de journée rosée devenue soudain menaçante. L'air est doux, j'ai mal à la poitrine pourtant. Tu m'attends ?

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Dès l'aube, sauter dans un train. Remonter la côte, la mer à gauche. Encré dans la terre. Tordre la tête pour apercevoir un bout d'eau, un bout de sable, un bout de soleil. On pourrait fermer les yeux, dormir un peu. Mais ce serait faire injure à la vue qui défile.
Rêver éveillé alors. Se sentir serein, n'avoir peur de rien. Entrer dans la terre.
Arriver en gare, imaginer tous ces voyages en train qu'on pourrait encore faire.

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À quoi je pense? Je pense à ça.


8 mars 2015

la merveilleuse



Éclaboussante lumière
De ces soirs en or et gris, en cent nuances de suie;
Obsédante lumière
Colore mes ciels et mon coeur, dessine mes ombres;
Étourdissante lumière
Accrocheuse, charmeuse, allumeuse. Viens, viens, viens par ici.

Épatante lumière
Du nord et du froid, du soleil tout bas;
Déroutante lumière
De changement de saison, d'entre deux, d'équilibre.

Alarmante lumière
Enroulée aux arbres, pendue aux façades, écrasée sous les pas.

Incessante lumière
M'attire, m'appelle, m'habite et ne se cache nulle part.

27 févr. 2015

et que vive ma mémoire...

Cinq. Voilà cinq années passées sans même qu'on ait pu se retourner. Si loin cette ancienne vie. Et la prochaine?
Au crépuscule de nos jours ici, je pense à ce temps qui prend la poudre d'escampette et un malin plaisir à nous faire courir après lui.
Si je vieillis assez pour parler du passé, de quoi me souviendrai-je? De cette vie d'aujourd'hui, que restera-t-il? Quels instants surgiront de ma mémoire en lambeaux? Quels visages survivront aux incessantes attaques de mon oubli? Quels chagrins, quels détours, quelles victoires, quelles illusions... resteront là, suffisamment près pour les retrouver, les raconter?

Se construire des souvenirs. Se rappeler ce qui nous fait vivre, ce qui nous a un jour fait jouir.
Et y penser dès aujourd'hui.
Plus tard ce sera trop tard. Je veux avoir une mémoire.

28 janv. 2015

Encore de nous

Je voudrais revoir les jardins de Tivoli. Où les torrents de lumières dorent la nuit et baignent tes joues d'une lueur presque féérique. Où tes yeux s'illuminent devant les vieux manèges, où les rires des enfants s'éclatent doucement sur les joyeux cris des grands. Où l'air sent le sucre et la vanille. Où l'on s'est retrouvé pour notre dernier rendez-vous.
Je voudrais remonter sur la grande roue, regarder la ville se répandre sous nos pieds. Te prendre la main. Te sourire.

Oh, encore un tour. J'y pense tous les jours.
S'il te plait,
Encore un tour. Ne pars pas.
Tu sais, il nous reste toute la vie. Pour pleurer, pour rire, douter, s'affoler, pour se tromper, mentir, hésiter, espérer, pour avouer, se conquérir, se heurter, jetter les armes, pour s'aimer.
Je t'en prie reste encore toujours.
On retournera voir les jardins de Tivoli, et la nuit s'embrasera et nos mains se frôleront et nos corps s'enlaceront. Et les enfants riront.

10 janv. 2015

Hurlements


La tempête se lève. Blottie dans le lit, j'écoute les murs trembler. Le ciel enrage avec une remarquable justesse. Le ciel gronde et je pleure avec lui.
La tête enfouie sous les draps, j'entends la rue se noyer, le bois craquer, les vitres vibrer.
Le vent déchaîné et la pluie torentielle sa soeur paniquée, bras armé de ce ciel en colère, désœuvré face au monde qui penche, qui boite, qui n'a plus de sens.
Cette nuit, je cherche ma consolation dans le bruit et la fureur de la terre.