23 oct. 2010

Toute une histoire

Elle est sortie plus tôt que prévu. Elle a frissonné en prenant la première gifle de vent sur ses joues encore chaudes. L'air était frais mais le jour était là. Il y aurait peut-être du soleil.
Elle est montée dans le bus qui arrivait juste. Tant pis pour le café, elle le prendra plus tard. Là bas?
Elle s'est assise à l'étage, au premier rang, à sa place préférée, mystérieusement toujours libre pour elle. Elle met cela sur le compte des fées. Tout est encore calme. Mais bientôt les écoliers envahiront l'espace de leur bruyante agitation, suivis des touristes qui trébucheront dans l'escalier lorsque le bus redémarrera brusquement. Elle sait exactement à quels arrêts.
Comme toujours elle sort un livre de son sac. Comme toujours c'est un livre pour enfants. Aux adultes qui lui demandent pourquoi, elle répond comme une évidence "Parce que c'est doux". Elle tait qu'elle préfère les mots d'enfants aux maux des grands.  Elle traverse la ville et autour d'elle les passagers montent et descendent, certains sourient de sa lecture. Elle, est déjà loin.
Elle connaît la route par coeur, les yeux fermés elle sait exactement où le bus se trouve. Elle reconnait chaque tournant, chaque accélération. De temps en temps, elle lève la tête pour vérifier qu'elle a raison. Comme un petit jeu avec elle-même. Et elle n'oublie jamais de regarder par la fenêtre quand elle passe près du château. Parce que quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, quelle que soit l'humeur du ciel, la triomphante demeure des rois diffuse sa magie, et se salue d'un coup d'oeil et d'un sourire.  
Elle descend au terminus, après un voyage qui lui a semblé durer une vie entière. A peine sortie, elle sent déjà pourquoi elle a fait tout ce chemin. Encore quelques mètres, et devant elle la mer, enfin.

18 oct. 2010

Interstice

Le jour s'est finalement levé à trois heures de l'après-midi. Le ciel a retrouvé sa couleur naturelle et les façades des immeubles se sont enflammées sous les rayons d'un soleil déjà couchant.

Les signes ne trompent pas.

Dans l'air somnolent les odeurs du bouleversement : l'herbe qui n'a plus le temps de sécher, les feuilles jaunies piétinées sur le bitume, la pluie qui n'est pas tombée depuis des heures et qui soudain...laissant derrière elle ce parfum singulier, madeleine de tant de promeneurs partageant brusquement une même envie pressante de chocolat chaud et de plaid sur les épaules.
Dans les arbres encore à demi vêtus, c'est le grand incendie.
Les collines ont tourné au vert foncé au contact incessant de l'eau. On guette les signes des premières neiges aux sommets. Elles ne devraient plus tarder, les oiseaux ne chantent presque plus et les mouettes se sont éloignées.
La nuit prend chaque soir par surprise, non sans avoir auparavant offert une vraie sortie de scène au jour. Chaque fois plus courte, chaque fois plus tôt, pourtant d'une saisissante efficacité, toujours.

Tout est en place.

Cet après-midi l'automne. Demain déjà, l'hiver.

8 oct. 2010

Projection

Au cinéma de ma fenêtre, on passe le film des ombres.
Sur grand écran, la lumière joue à chat avec les toits. A l'orée du soir, le noir prend des formes mouvantes qui jurent avec le jaune cru du soleil qui s'en va.
Mur gris sur ciel gris, et cette lumière qui hurle de toutes ses forces "regardez moi !". Ca ne dure qu'un instant, un instant seulement, mais comment ne pas l'entendre?